Politiques et gestion publiques dans les pays en développement et émergents

Éditorial 

Chères lectrices et chers lecteurs,

Ce premier numéro de l’année 2016 de la Sélection d’Observgo est le fruit d’une collaboration entre les équipes de L’Observatoire de l’administration publique et de la Direction des affaires internationales de l’ENAP. Entièrement consacrée aux politiques et à la gestion publiques dans les pays en développement et émergents, cette Sélection vise à mettre en lumière l’évolution des normes et des pratiques dans ces pays qui, à bien des égards, modifient leur façon de faire pour répondre aux multiples enjeux sociétaux, économiques et politiques qui se posent à eux.

En effet, pour tenir compte des exigences de bonne gouvernance des pays contributeurs et des organisations de coopération internationale ou pour se positionner comme des acteurs incontournables et crédibles de la scène internationale, ces États adoptent de nouvelles approches de gestion et de gouvernance plus compatibles avec les tendances internationales. Ainsi, les initiatives visant à décentraliser la gestion publique et à implanter des outils et des méthodes, telles la gestion et la budgétisation axées sur les résultats, l’évaluation des politiques et des programmes publics et la gestion stratégique des projets de développement se multiplient et s’intègrent progressivement à la culture de ces administrations publiques. À ce souci de conformité aux « nouvelles conditionnalités » externes de l’aide et de l’approbation internationales s’ajoute un facteur non négligeable, reflet de la nouvelle dynamique de gouvernance du XXIe siècle : le poids des citoyens et de la société civile qui, notamment à la faveur du développement des technologies de l’information et de la communication, disposent de plus de moyens pour faire entendre leurs préoccupations. Finalement, un aspect important à prendre en considération par ces administrations publiques est celui de l’adaptabilité des nouvelles solutions de gestion ou des nouvelles approches de politiques publiques aux réalités du terrain.

La Sélection d’Observgo sur les politiques et la gestion publiques dans les pays en développement et émergents tente de lever le voile – du moins en partie – sur cette problématique en présentant quelques publications qui soulignent non seulement les enjeux auxquels sont confrontées ces administrations publiques, mais aussi les progrès – quoique très inégaux – réalisés en matière de croissance économique, de démocratisation et de gouvernance. En filigrane à l’ensemble de ces publications se dessinent les clés de la résilience de ces administrations publiques qui, bien que mises à mal par la fragilité de l’économie mondiale et l’augmentation récente de la violence, des conflits et de l’extrémisme, s’engagent de manière accrue dans le développement des capacités et la coopération régionale.

Bonne lecture!


Cadre conceptuel et méthodologique pour l’évaluation et le suivi de la coopération Sud-Sud

La coopération Sud-Sud (CSS) trouve ses racines dans le Mouvement des non-alignés ainsi que dans les conférences de Bandung (1955), de Buenos Aires (1979) et de Nairobi (2009) qui ont posé les principes de la collaboration économique et technique entre les pays en développement (PED). La CSS s’est transformée au fil des ans, favorisant de multiples formes de partenariats économiques, politiques et sociaux entre les pays du Sud et s’imposant progressivement dans le paysage du développement international. Malgré son rôle indéniable dans le développement des PED, la CSS demeure un concept aux contours flous et aux répercussions imprécises. Cela est principalement dû à l’absence d’une définition commune, à l’inexistence d’un cadre conceptuel et à la faiblesse des mécanismes de suivi et de reddition de comptes. Le Réseau de groupes de réflexion du Sud, créé en 2014, et rassemblant différents experts de pays du Sud, s’est donné pour mission de combler ces lacunes et d’établir notamment un cadre conceptuel et méthodologique pour l’évaluation et le suivi de la CSS. Le présent document de travail rend compte des discussions menées, en mars et en septembre 2015, par 25 experts universitaires et spécialistes en coopération pour le développement, ainsi que les réponses des parties prenantes consultées à propos des définitions, des critères, des indicateurs et des méthodologies qui pourraient être utilisés pour évaluer le volume, la qualité et l’impact de la CSS. En plus d’avoir défini une première série d’indicateurs, les experts se sont notamment entendus sur la nécessité de mettre en place un système de collecte, d’analyse et de partage de données commun aux pays du Sud et de développer la recherche et la formation dans le domaine de la CSS. 

Network of Southern Think-Tanks (septembre 2015). Developing a Conceptual Framework for South−South Co-Operation

Libérer le potentiel économique de l’Afrique par le développement territorial

Ce rapport sur les perspectives économiques de l’Afrique affiche des résultats globaux plutôt positifs, le produit intérieur brut de ce continent ayant progressé en moyenne de 3,9 % – et même de 5,2 % en Afrique subsaharienne – contre 3,3 % pour le reste du monde en 2014. Selon les auteurs, la croissance économique en Afrique devrait se raffermir en 2015 et en 2016 pour atteindre des niveaux proches de ceux d’avant la crise mondiale de 2008. Toutefois, cette croissance est inégale en fonction des régions. Les économies faibles ou intermédiaires restent vulnérables aux risques sanitaires, environnementaux et sociaux en raison d’une pauvreté généralisée. D’après les chercheurs, l’intégration régionale est un vecteur d’inclusion et de développement territorial. De plus, du fait de la croissance rapide des populations urbaines et rurales, les stratégies de développement doivent être axées non seulement sur les secteurs économiques, mais aussi sur les individus et les territoires pour promouvoir l’inclusion spatiale et libérer le potentiel des économies africaines. Le rapport est émaillé de nombreux tableaux comparatifs sur les variables économiques et sociales, de cartes, d’une trentaine de fiches pays ainsi que de pistes de solutions pour une meilleure inclusion spatiale.

Banque africaine de développement, Programme des Nations Unies pour le développement et OCDE (mai 2015). Perspectives économiques en Afrique 2015 – Développement territorial et inclusion spatiale

Agir sur la déscolarisation et la non-scolarisation des jeunes

Selon ce rapport publié par le Groupe de la Banque mondiale, 89 millions de jeunes d’Afrique subsaharienne – soit près de la moitié de tous les jeunes – sont non scolarisés ou déscolarisés. Cette situation laisse entrevoir des perspectives plutôt inquiétantes pour leur avenir et, à plus grande échelle, pour le développement économique et social de la région. Constatant le manque d’efficacité des programmes jeunesse généralement sectoriels, à court terme et communément sous-financés, les auteurs de ce rapport suggèrent que l’action soit coordonnée au plus haut niveau politique, là où se prennent les décisions relatives à l’allocation des ressources, et que des politiques publiques plus intégrées et plus harmonisées soient implantées. Ces stratégies d’intervention seraient articulées autour des trois axes principaux communs à la multitude des programmes actuels, soit le maintien des jeunes à risque à l’école, la remédiation par l’enseignement formel ou extrascolaire et l’insertion au marché du travail. L’un des apports intéressants de cette étude est que les auteurs proposent des moyens concrets pour pallier les difficultés habituellement rencontrées par les pays en développement (PED) pour mettre en œuvre ces trois stratégies d’intervention. Le rapport est enrichi par une analyse comparative des six principaux facteurs de de la déscolarisation et de la non-scolarisation et par un tour d’horizon des programmes jeunesse actuellement en place en Afrique subsaharienne.

Keiko, Inoue, Emanuela di Gropello, Yesim Sayin Taylor et James Gresham (2015). Les jeunes non scolarisés et déscolarisés d’Afrique subsaharienne : Politiques pour le changement, Washington D.C., Groupe de la Banque mondiale, 163 p.

Restrictions à l’emploi et perspectives économiques des femmes

Pour documenter les différences juridiques fondées sur le sexe, principalement en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie Pacifique, en Asie de l’Est et en Asie du Sud, le Groupe de la Banque mondiale publie un rapport bisannuel intitulé Women, Business and the Law. Sept indicateurs ont été retenus pour mener cette étude, dont l’accès aux institutions, la jouissance de la propriété, l’obtention d’un emploi et les incitations au travail. L’édition de 2016, Getting to Equal, révèle que les femmes se heurtent à des restrictions à l’emploi dans 155 des 173 économies étudiées, par exemple l’accès restreint à certains emplois en usine ainsi qu’au travail de nuit, ou encore, l’obtention d’une autorisation maritale pour pouvoir travailler. Le rapport démontre que les inégalités dans le droit du travail persistent et nuisent aux perspectives économiques des femmes. Toutefois, depuis 2014, 65 pays ont entrepris un total de 94 réformes pour améliorer la situation des femmes. Ainsi, le Chili et la Tunisie ont adopté de nouvelles lois électorales fixant un quota minimum de femmes élues à l’échelon national; São Tomé-et-Principe a augmenté l’âge minimum de la retraite pour les femmes pour l’apparenter à celui des hommes; la Jamaïque a supprimé les restrictions légales au travail de nuit des femmes et l’Île Maurice a rendu obligatoire l’égalité de salaires.

Groupe de la Banque mondiale (septembre 2015). Women, Business and the Law 2016: Getting to Equal, Washington D.C., Groupe de la Banque mondiale, 263 p.

Guide pour la mise en place de programmes de modernisation des administrations fiscales

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont le potentiel d’optimiser la collecte des recettes fiscales grâce à l’automatisation des processus et à l’amélioration de la qualité des services et de la conformité. Ainsi, depuis quelques années et à l’instar des pays développés, certains pays en développement (PED) ont entrepris des programmes de modernisation de leurs administrations fiscales en privilégiant la gestion intégrée des impôts par le recours à des applications informatiques, essentiellement des progiciels disponibles sur le marché (Commercial Off-The-Shelves packages – COTS). Les résultats sont mitigés, ainsi que le montre cette étude réalisée sur 13 PED : si des pays comme l’Afrique du Sud ont atteint un niveau relativement élevé de modernisation de leur système fiscal, certains autres tels que le Ghana et le Bangladesh éprouvent encore de grandes difficultés pour implanter les nouvelles technologies. Les principaux défis, communs à l’ensemble des administrations, résident dans la gestion du changement, le manque de communication interne, les procédures d’achats et la mauvaise qualité des infrastructures nationales (ex. : électricité et réseau Internet). Le présent rapport, qui se veut un guide pour la mise en place de programmes de modernisation dans les PED, insiste notamment sur l’importance d’intégrer les réformes technologiques à la planification stratégique des administrations fiscales et met en relief l’importance d’évaluer préalablement les besoins, les infrastructures technologiques et physiques disponibles ainsi que le niveau de maturité informatique global avant de faire le choix des progiciels. Une analyse comparée de douze progiciels généralement utilisés par les administrations fiscales fournit aux PED intéressés des éléments pour faire un choix éclairé.

International Tax Compact et KfW Development Bank (juillet 2015). Information Technology in Tax Administration in Developing Countries

Les technologies de l’information et de la communication au service d’un développement inclusif

Le rapport du Forum économique mondial d’avril 2015 mesure le niveau de préparation des pays à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et examine le rôle de ces dernières dans le développement inclusif. Sur la base des résultats de l’évaluation réalisée à l’aide de l’indicateur composite Networked Readiness Index, les auteurs confirment notamment le lien étroit entre le niveau de développement économique et celui de la préparation à l’utilisation des TIC. Ainsi, 45 des 50 économies les plus avancées figurent parmi les 50 premiers des 143 pays évalués, les 5 places suivantes étant occupées par les économies émergentes telles que la Malaisie. De plus, 26 des 30 dernières positions du classement sont occupées par des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Par ailleurs, des exemples concrets montrent comment les TIC peuvent être des vecteurs de transformation économique et sociale en facilitant l’accès aux services pour tous, en créant des occasions d’affaires et en favorisant l’interaction entre les citoyens et les gouvernements.

Forum économique mondial (avril 2015). The Global Information Technology Report 2015. ICTs for Inclusive Growth

Effets de la participation accrue des économies émergentes à l’élaboration de normes financières internationales

Depuis la crise financière de 2008, les économies émergentes participent de plus en plus à la gouvernance internationale du secteur financier. L’auteur du présent article examine les effets directs de la forte représentation de ces nouveaux acteurs. Il constate que bien qu’étant désormais impliqués dès le début du processus d’élaboration des normes, ces pays ne disposent pas encore de l’expertise nécessaire pour imposer leurs préférences, leur rôle se limitant à pallier les éventuels effets négatifs de ces normes sur leurs économies. Toutefois, l’auteur note que cette participation accrue des pays émergents à la gouvernance internationale a pour conséquence positive d’améliorer la compatibilité de leur environnement réglementaire avec les normes internationales afin de répondre aux pressions externes sur le plan de la conformité.

Hyoung-kyu, Chey (2015). « Changing Global Financial Governance: International Financial Standards and Emerging Economies since the Global Financial Crisis », New Thinking and the New G20, Paper no 1, Centre for International Governance Innovation.

Les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest

L’Afrique de l’Ouest a réalisé d’impressionnants progrès en matière de croissance économique, de démocratisation et de coopération régionale, et ce, même si l’augmentation récente de la violence, des conflits et de l’extrémisme suscite certaines préoccupations quant au développement de cette région. C’est notamment ce que constatent les auteurs de ce document qui examinent de façon critique les défis de la fragilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest ainsi que les facteurs de résilience de cette sous-région. Les chercheurs analysent, entre autres, les dynamiques de la résilience qui ont permis à certains pays comme la Sierra Léone, le Libéria et la Côte d’Ivoire de sortir d’une situation de conflit prolongé et de fragilité. Le rôle intégrateur joué par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’intervention des pairs dans la résolution des conflits, la participation de la société civile et le leadership des femmes sont autant de leçons tirées des études de cas présentées dans ce rapport.

Marc, Alexandre, Neelam Verjee et Stephen Mogaka (septembre 2015). The Challenge of Stability and Security in West Africa. Africa Development Forum Series. Agence française de développement et Banque mondiale.

Nouveaux paradigmes de la gouvernance en Afrique

Les années 1990 ont été caractérisées par une vague sans précédent de mouvements de contestations populaires exigeant la mise en place de régimes démocratiques et multipartites. Cette demande a été relayée par des pressions internationales venant notamment des pays occidentaux et des institutions financières internationales qui ont fait de la gouvernance, la solution à la « crise africaine » de la fin des années 1980. On peut parler de l’émergence d’un véritable espace public, tout d’abord à l’interne car investi par des citoyens qui contestent le monopole de l’État sur la politique, mais aussi à l’externe avec le développement de pratiques et de doctrines légitimant l’ingérence démocratique. Dès lors, les États africains font face à une triple contrainte qui remet en cause leur légitimité : la société civile, plus diversifiée et plus jeune, revendique une co-production de la gouvernance et demande des comptes; ensuite, les demandes en matière de politiques publiques se font de plus en plus pressantes; enfin, la gouvernance africaine est disputée au plan international par les pays occidentaux, les organisations régionales et financières. Cette problématique a fait l’objet d’un colloque international sur la légitimité de l’État africain tenu en décembre 2015 et organisé par le Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines (Québec) et l’Institut des Relations Internationales et des Études Stratégiques (Bénin).

GIERSA et IRIES (décembre 2015). La légitimité de l’État africain dans un contexte de co-production de la gouvernance, colloque international, 7-9 décembre 2015, Cotonou, Bénin (Actes à paraître à l'automne 2016).